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L’Épervier de Patrice Pellerin revient à l’abordage

À quelques jours de la prépublication dans le Télégramme de « La princesse indienne », Patrice Pellerin travaillait encore à la mise en couleur de ses dernières planches. Sur le bureau, une réplique de l’arme de son personnage, le célèbre Yann de Kermeur. (Le Télégramme/Sophie Guillerm)

 

En 2015, on avait laissé son Épervier au Canada. Le héros de Patrice Pellerin revient ce jeudi dans le Télégramme qui publie, en avant-première, le 10e tome de sa saga dessinée, « La princesse indienne ».
Cela faisait cinq ans qu’on avait quitté Yann de Kermeur, surnommé l’Épervier, le héros corsaire imaginé par le dessinateur finistérien Patrice Pellerin. À quelques jours de la publication de « La Princesse indienne » en avant-première pour les lecteurs du Télégramme (l’album sort le 14 octobre), l’auteur nous a reçus chez lui en toute simplicité.

L’Épervier fait son grand retour dans Le Télégramme : cela sonne-t-il l’heure des vacances du dessinateur ?
Cinq ans ! Je n’ai jamais mis autant de temps entre deux tomes, mais c’est la fin d’un cycle et je travaille en même temps sur le suivant. Je ne sais pas comment je me débrouille : pour les couleurs, je suis toujours en retard, c’est une course contre la montre ! Donc pas de vacances pour moi cet été. Les dernières remontent à 2016, à Londres, mais je n’en ai pas forcément besoin : il me suffit d’aller voir ailleurs. Souvent, j’écris mes scénarios dans des trains, d’idées nées lors de déplacements professionnels, comme en Guyane, à l’occasion d’une expo là-bas. L’Épervier y est allé par la suite…

 

Sur la quatrième de couverture mise en page par son éditeur, on retrouve la mystérieuse princesse indienne Mali, celle qui donne son nom au 10e tome de la saga de l’Épervier. (Le Télégramme/Sophie Guillerm)
Sur la quatrième de couverture mise en page par son éditeur, on retrouve la mystérieuse princesse indienne Mali, celle qui donne son nom au 10e tome de la saga de l’Épervier. (Le Télégramme/Sophie Guillerm)

 

La suite, justement, dites-nous en un peu plus…
On a laissé l’Épervier à Louisbourg, au Canada, quand s’achevait le 9e album, « Coulez la Méduse ! », sur le bombardement de la forteresse. Dans le tome 10, il est chargé par le roi de France de porter une missive secrète au gouverneur du Canada. Il y a moins d’action mais on va révéler beaucoup de choses restées en suspens… et en dire plus sur la princesse Mali. La difficulté est que l’histoire se passe simultanément en plusieurs lieux, bateau, Bretagne, Versailles et Canada, et qu’il faut gérer la cohérence du temps pour rester authentique. À l’époque, la difficulté de communiquer était grande : le lecteur doit être conscient qu’on n’a pas la spontanéité d’aujourd’hui.

 

« L’inspiration, c’est comme les gamins qui se laissent aller à la rêvasserie,
ça touche la part d’enfance des adultes ».

 

Racontez-nous comment naît le scénario…
L’écriture, c’est quand on n’y pense pas du tout que ça vient ! J’ai beaucoup d’idées quand je vais courir ou que je tonds ma pelouse… On n’a pas l’impression de travailler, il faut juste être à l’écoute des idées, et les noter vite avant de les oublier. L’inspiration, c’est comme les gamins qui se laissent aller à la rêvasserie, ça touche la part d’enfance des adultes. L’Épervier a quelque chose d’original, c’est que cette série est née du scénario d’une autre série (Barbe-Rouge, pour laquelle il était scénariste, NDLR), sans savoir où j’allais. Mon personnage, je l’ai bricolé au fur et à mesure, je lui ai inventé un passé, une famille. C’est ce qui le rend réaliste, comme dans la vie : on apprend à le connaître… Pour ne rien vous cacher, la fin du cycle, je la connais déjà, mais je me laisse la liberté de changer au gré de nouvelles idées.

Est-il important d’aller sur les lieux des décors pour s’en imprégner ?
Versailles, j’y suis allé plusieurs fois pour reconstituer les bureaux, les dorures… Je fais beaucoup de travail d’archives. Au Canada, où j’ai voyagé en 2013, j’ai fait des repérages de lieux, de décors, que je photographie - le croquis n’est pas assez rapide - avant de consigner mes ressentis le soir. En Guyane, il y avait une sensation d’étouffement avec tous ces arbres sans horizon. À l’inverse, le Canada, c’est cette impression d’infini… D’ailleurs, la couverture du prochain album, j’en ai déjà fait l’esquisse dans l’avion qui me ramenait de Toronto à Halifax.

Votre trait révèle un réalisme poussé à l’extrême : n’est-ce pas frustrant de penser que les lecteurs passent à côté d’infimes détails ?
Moi, je ne suis pas historien alors je vais chercher ma nourriture partout où la documentation n’existe pas. Quand j’ai choisi Brest comme point de départ à l’Épervier, on s’est moqué de moi car la ville d’alors était détruite. Je l’ai reconstituée grâce aux travaux d’Alain Boulaire et de l’architecte naval Jean Boudriot. Ma référence, c’est un plan du bateau : j’ai pris l’habitude de mettre tout à l’échelle, sans m’en rendre compte, c’est une maniaquerie, on est deux, trois comme ça, avec François Bourgeon ! Quand j’ai commencé à dessiner la Méduse de l’Épervier, personne ne naviguait sur de tels bateaux. Aujourd’hui, les gabiers de l’Hermione sont capables de me dire si dans un dessin, j’ai mal amarré !

 

« J’ai pris l’habitude de mettre tout à l’échelle sans m’en rendre compte, c’est une maniaquerie, on est deux trois comme ça, avec François Bourgeon ».

 

Ce souci de fidélité ne laisse pas de place à l’invention…
Au contraire, l’invention, c’est de remettre à sa place ce qui n’existe pas pour que ce soit plausible. Quand on fait de la reconstitution, il est plaisant de dessiner quelque chose et de se rendre compte plus tard, lors de fouilles archéologiques, que ce qu’on a imaginé se révèle vrai. Ce travail de recherches engendre toutefois de la frustration : j’en sais beaucoup plus sur Brest, Versailles… D’où l’idée de dessiner un "art-of" : je rêve de scènes coupées, d’un bêtisier où je pourrais glisser des gags, des prises ratées, développer certains personnages comme dans un "making-of de cinéma".

Va-t-on retrouver la Bretagne avec « La princesse indienne » ?
Oui, le retour en Bretagne, c’était un défi après plusieurs albums en Guyane et à Versailles. On a un patrimoine extraordinaire ici : j’ai déjà réussi à glisser le château du Taureau, Bertheaume, Tronjoly… Dans ce tome apparaît le château de Kerjean et le Pont de Rohan, à Landerneau. Je glisse aussi des clins d’œil, que mes amis ont la surprise de découvrir à la lecture : malgré le sérieux, le travail doit rester un amusement.
Après, j’espère toujours que le lecteur va me suivre jusqu’au bout !

Sur cette planche prête à être mise en couleurs, on reconnaît Mila, la princesse indienne qui donne son nom à l’album, dans la deuxième case, en bas de page. (Le Télégramme/Sophie Guillerm)
Sur cette planche prête à être mise en couleurs, on reconnaît Mila, la princesse indienne qui donne son nom à l’album, dans la deuxième case, en bas de page. (Le Télégramme/Sophie Guillerm)

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20200819 L’Épervier de Patrice Pellerin
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